André Ughetto, 19 ans en 1961, accompagne, à l’Isle-sur-Sorgue, un voisin maçon venu effectuer des réparations dans la maison récemment acquise par René Char (double prétexte : le grand-père d’André avait bien connu le père de René ; André commence des études de Lettres que Char pourrait peut-être guider). Et puis, par un oncle artisan, André avait rencontré un beau quart d’heure Camus, autre voisin, quelques mois avant sa mort début 1960 – et l’amitié de Char et Camus, connue de toute la région, ouvrait aisément la discussion. Ughetto, cinéaste et dramaturge avant (chronologiquement) d’être poète, proposera bientôt à Char un projet de film (« La mémoire du feu ») illustrant son œuvre, et des lectures publiques d’extraits d’elle – l’un et les autres un jour violemment (et sans appel) interrompus par la soudaine sortie du poète (déçu, comme on va voir, d’une répétition gâchée par un très fort mistral) en une brève et impitoyable scène, que voici :

 

« René met la tête dans ses mains comme pour se boucher les oreilles. La catastrophe est imminente. Il arrête le jeu avec sa canne. Il m’interpelle : « Ughetto, venez ici ». Je m’avance gravement et très penaud je balbutie : »C’est un ratage, je sais, mais dû aux circonstances ; hier c’était bien mieux ». Alors j’entends des mots terribles que je voudrais ne pas me remémorer mais qui vont me poursuivre : »Je ne peux cautionner cette représentation. En plus tous vos acteurs sortent de ce qu’ils appellent un « Mini-Théâtre ». Mini, oui, pour des minus. La seule chose à faire est que samedi, vous affichiez un placard où soit indiqué votre amateurisme. Vous avez cru devoir m’honorer, mais le déshonneur serait que j’approuve ce spectacle vraiment très mini. Annoncez que je ne serai évidemment pas présent. Coulez sans moi. Vous êtes le capitaine du désastre » (p.113).